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Christophe Texier Mécanique quantique Cours et exercices corrigés 2e édition Couverture © Image par microscopie électronique d’un réseau de fils d’argent déposé sur un substrat isolant (le pas du réseau est 0.64 μm). À très basse température, la mesure de la résistance électrique en fonction du champ magnétique (courbe superposée à l’image) donne un accès direct au rapport de la constante de Planck et de la charge de l’électron (le quantum de flux magnétique φ0 = h/|qe |). Ces petites oscillations de la résistance électrique sont appelées « oscillations Aharonov-Bohm » et sont la manifestation d’un phénomène d’interférences quantiques (cf. chapitre 16). La courbe est caractéristique de l’échantillon et parfaitement reproductible. La température était T = 0.4 Kelvin, le champ magnétique varie entre 1.1 et 1.3 Tesla et l’amplitude des oscillations est δR ∼ 2 mΩ pour une résistance R 100 Ω. (cf. figure 16.1). L’échantillon et les mesures ont été réalisés pendant la thèse de Félicien Schopfer, dans l’équipe de Christopher Bäuerle et Laurent Saminadayar (Institut Néel, Grenoble). Données publiées dans : F. Schopfer, F. Mallet, D. Mailly, C. Texier, G. Montambaux, C. Bäuerle & L. Saminadayar, Dimensional crossover in quantum networks : from mesoscopic to macroscopic physics, Phys. Rev. Lett. 98, 026807 (2007). © Dunod, 2011, 2015 5 rue Laromiguière, 75005 Paris www.dunod.com ISBN 978-2-10-072154-2 T ABLE DES MATIÈRES Avant-propos VI Mode d’emploi IX Notations Chapitre 1. Introduction © Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit. 1.1 Qu’est-ce que la mécanique quantique ? 1.2 Brèves considérations historiques 1.3 La structure des théories physiques 1.4 Aperçu des postulats de la mécanique quantique 1.5 Premières conséquences importantes Annexe 1.A : La physique quantique en quelques dates Annexe 1.B : Rappels de mécanique analytique X 1 1 2 11 13 16 23 32 Chapitre 2. Équation d’onde de Schrödinger 37 2.1 Équation d’onde – Premières applications 2.2 Fonction d’onde dans l’espace des impulsions 2.3 Inégalités de Heisenberg Annexe 2.A : Transformation de Fourier Annexe 2.B : Distributions Exercices 37 Chapitre 3. Formalisme de Dirac – Postulats (1) 63 3.1 Introduction 3.2 Prélude : espace des fonctions d’onde 3.3 Formalisme de Dirac Annexe 3.A : Quelques rappels d’algèbre linéaire Exercices 63 63 67 78 80 Chapitre 4. La mesure – Postulats (2) 81 4.1 Motivations 4.2 Les postulats de mesure 4.3 Valeur moyenne d’une observable 4.4 Ensemble complet d’observables qui commutent (ECOC) Exercices 81 82 85 86 87 Chapitre 5. Évolution temporelle – Postulats (3) 89 5.1 Résolution de l’équation de Schrödinger 5.2 Théorème d’Ehrenfest 5.3 Point de vue de Heisenberg Annexe 5.A : Matrice de diffusion (matrice S) d’une lame séparatrice Exercices 89 94 95 97 99 48 50 53 56 61 III Mécanique quantique IV Chapitre 6. Symétries et lois de conservation 103 6.1 Symétries 6.2 Transformations en mécanique quantique 6.3 Groupes continus – Générateur infinitésimal 6.4 Potentiel périodique et théorème de Bloch Exercices Problème 6.1. Groupe de Galilée 103 105 110 113 116 118 Chapitre 7. Oscillateur harmonique 121 7.1 L’oscillateur harmonique classique 7.2 Le spectre de l’oscillateur harmonique Exercices Problème 7.1. États cohérents 121 122 129 130 Chapitre 8. Moment cinétique – Spin 133 8.1 Moment cinétique 8.2 Le spin Annexe 8.A : Rotation de 2π du spin d’un neutron Exercices 133 150 165 168 Chapitre 9. Addition des moments cinétiques 169 9.1 Inégalité triangulaire : valeurs de j permises 9.2 Construction des vecteurs | j1 ; j2 ; j; m 9.3 Composition de deux spins 1/2 Exercices 170 172 173 175 Chapitre 10. Introduction à la théorie des collisions 177 10.1 Ce que le chapitre discute... et ce dont il ne parle pas 10.2 Collisions en une dimension 10.3 Formulation générale – Équation de Lippmann-Schwinger 10.4 Diffusion dans la situation bidimensionnelle 10.5 Diffusion dans la situation tridimensionnelle Annexe 10.A : Fonctions de Green Exercices Problèmes 10.1. Résistance électrique d’un fil quantique unidimensionnel 10.2. Temps de Wigner et capacité quantique 10.3. Interaction ponctuelle en dimension d 2 177 180 189 191 198 201 204 206 208 210 Chapitre 11. Particules identiques et permutations – Postulats (4) 215 11.1 Postulat de symétrisation 11.2 Corrélations induites par le postulat de symétrisation Annexe 11.A : Collision entre deux particules identiques Exercices Problèmes 11.1. Corrélations quantiques de la lumière 11.2. Collisions entre noyaux de carbone 216 220 227 228 228 231 © Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit. Table des matières Chapitre 12. Atome d’hydrogène 235 12.1 Atome d’hydrogène 12.2 Atomes et classification de Mendeleïev Exercice 235 243 248 Chapitre 13. Méthodes d’approximation 249 13.1 Méthode des perturbations – cas stationnaire 13.2 La méthode variationnelle 13.3 La méthode JWKB et l’approximation semiclassique Exercices Problèmes 13.1. Théorème de projection et facteurs de Landé atomiques 13.2. Mécanisme d’échange – Interaction coulombienne dans l’atome d’hélium 13.3. Mécanisme de super-échange – Isolant de Mott et antiferromagnétisme 249 254 255 260 261 Chapitre 14. Structures ne et hyperne du spectre de l’hydrogène 269 14.1 Structure fine 14.2 Corrections radiatives 14.3 Structure hyperfine du niveau 1s1/2 270 274 275 263 265 Chapitre 15. Problèmes dépendants du temps 277 15.1 Méthode des perturbations 15.2 Interaction atome-rayonnement Exercices Problème 15.1. Résonance magnétique dans un jet moléculaire 277 283 289 290 Chapitre 16. Particule chargée dans un champ magnétique 293 16.1 Introduction 16.2 Champ magnétique homogène 16.3 Vortex magnétique Exercices Problème 16.1. Conductivité Hall d’un gaz d’électrons 2D 293 293 298 301 303 Annexe A. Formulaire 305 A.1 A.2 305 311 Compléments mathématiques Constantes fondamentales Annexe B. Solutions des exercices et problèmes 313 Bibliographie 365 Index 367 V A VANT - PROPOS À Marie-Flore Cet ouvrage propose un cours d’introduction à la mécanique quantique. Le cœur du texte a été écrit pour servir de support à un cours dispensé aux étudiants d’écoles d’ingénieurs (École Centrale, Supélec et SupOptique), inscrits au magistère de physique fondamentale de l’Université Paris-Sud, et qui avaient le courage d’étudier des sujets de physique fondamentale plusieurs soirs par semaine. Le cours, dont la structure a été pour l’essentiel imposée afin de respecter le programme suivi par les étudiants du magistère, a été rédigé en ayant le souci de produire un texte compact mais suffisamment complet pour pouvoir être utilisé de manière autonome (quelques notions mathématiques essentielles sont rappelées dans plusieurs annexes). De nombreuses références sont données afin de fournir des pistes pour un lecteur désireux d’approfondir les sujets présentés : vers des ouvrages de référence comme les livres d’A. Messiah [37], de L. Landau et E. Lifchitz [30] ou de C. Cohen-Tannoudji, B. Diu et F. Laloë [8]. Des références plus récentes sont les excellents ouvrages de M. Le Bellac [33], J.-L. Basdevant et J. Dalibard [5] ou encore le monumental livre de C. Aslangul [3, 4] ; d’autres références spécialisées sont occasionnellement mentionnées. Le cours s’ouvre sur un chapitre introductif rappelant quelques motivations historiques ayant conduit à la révolution quantique du début du xxe siècle. L’exposé se poursuit avec une présentation de l’équation d’onde de Schrödinger, approche assez traditionnelle ayant l’avantage de jeter des ponts avec les acquis de physique classique des ondes. Les premiers postulats sont ensuite présentés : formalisme de Dirac, postulats de mesure et d’évolution temporelle. Le cadre ainsi dressé, un chapitre court discute succinctement le rôle des symétries et permet d’introduire des notions qui seront très utiles pour la suite de l’exposé. Nous étudions ensuite l’oscillateur harmonique et le moment cinétique. Le postulat de symétrisation est présenté. La théorie quantique (non relativiste) de l’atome d’hydrogène est exposée, puis nous discutons des méthodes d’approximation, mises en pratique pour l’étude des corrections relativistes dans l’atome d’hydrogène, et finalement les problèmes dépendant du temps (interaction atome-lumière). Ces sujets correspondent au programme du magistère d’Orsay. S’il est courant de tirer de la physique atomique les illustrations d’un premier cours de physique quantique, j’ai également choisi plusieurs applications inspirées par la matière condensée (résistance quantique, capacité quantique, VI Avant-propos © Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit. effet Hall, effet Aharonov-Bohm, courant permanent, antiferromagnétisme). Un très court chapitre consacré à l’étude de la dynamique d’une particule soumise à un champ magnétique (dans les deux situations extrêmes d’un champ uniforme ou concentré en un point) s’inscrit dans cette logique et clôt l’ouvrage. J’ai également jugé opportun d’insérer un chapitre (le 10) sur la théorie des collisions : si cette dernière a des applications évidentes et bien connues pour la physique des gaz ou la physique des particules, elle fournit aussi des outils puissants et assez intuitifs pour l’étude des phénomènes mésoscopiques1 . J’ai opté pour une présentation commençant par considérer le cas des basses dimensions (1 et 2) ; le cas tridimensionnel usuellement discuté dans les ouvrages n’est que brièvement abordé. Outre que cette approche présente des simplifications d’un point de vue didactique, une telle présentation systématique n’est à ma connaissance pas disponible dans les ouvrages, alors que la question de la mécanique quantique en basse dimension est tout à fait pertinente pour de nombreux développements modernes en physique atomique avec les progrès spectaculaires dans le domaine des atomes froids, ou pour la matière condensée. Ce chapitre est d’un niveau plus avancé que le reste du livre, cependant il présente le cadre dans lequel s’inscrit le concept de matrice S qui sera utilisé de manière intuitive dans plusieurs exercices/problèmes dans le corps de l’ouvrage. J’ai bénéficié des conseils, remarques et encouragements de nombreuses personnes que je remercie chaleureusement : Hélène Bouchiat, Alain Comtet, Marie-Thérèse Commault, Richard Deblock, Julien Gabelli, Sophie Guéron, Thierry Jolicœur, Mathieu Langer, Alexandre Malamant, Gilles Montambaux, Nicolas Pavloff, Paolo Pedri, Hugues Pothier, Guillaume Roux, Emmanuel Trizac et Denis Ullmo. Je remercie Alain Cordier pour la confiance qu’il m’a témoignée en m’ayant proposé d’assurer ce cours, Alain Abergel pour ses conseils initiaux, Sandra Bouneau pour les vigoureuses discussions autour de la rédaction de l’exercice 2.18. Je suis reconnaissant à Christophe Bäuerle et Laurent Saminadayar pour m’avoir fourni la superbe image de microscopie électronique reproduite sur la couverture : elle montre un réseau de fils d’argent de dimensions microscopiques déposé sur un substrat, dont ils ont étudié les propriétés de transport électronique il y a quelques années (cf. légende page ii et figure 16.1). J’adresse de profonds remerciements à Amaury Mouchet, pour ses nombreuses suggestions et conseils, et Jean-Noël Fuchs avec qui j’ai eu l’immense plaisir de travailler dans l’équipe de mécanique quantique d’Orsay, ainsi que pour ses innombrables et toujours si pertinentes observations qui ont profondément marqué le texte ; plusieurs exercices du livre ont été rédigés avec lui. 1. La physique mésoscopique s’intéresse aux phénomènes quantiques (interférences quantiques et/ou effets de la quantification) en matière condensée. VII Mécanique quantique Mon éducation de mécanicien quantique doit beaucoup aux enseignants dont les cours lumineux m’ont permis d’entrer dans l’univers quantique : Françoise Balibar, Alain Laverne, Cécile Malegrange et Bernard Roulet. Je remercie Caroline qui a stimulé le processus d’édition, et sans laquelle mon manuscrit dormirait peut-être encore dans mon bureau. Je suis reconnaissant à Dominique Decobecq pour tous ses conseils éditoriaux et à Marie Leclerc pour son efficacité. Je dédie ce travail à Marie-Flore, Michel, Barbara et Andrea. Orsay, le 22 avril 2011 Cette seconde édition, impulsée par Lætitia Herin et mise en œuvre par Coline Laquêche, que je remercie chaleureusement, m’a donné l’occasion de corriger les coquilles de la première édition. J’en ai profité pour clarifier, restructurer ou même compléter certaines parties (chapitres 1 et 2, annexe 11.A). Un certain nombre d’exercices (5.2, 5.8, 5.9, 11.3, 12.4, 13.2, 15.3, 15.4, 16.4) et problèmes (7.1, 11.2, 15.1) ont été complétés ou simplement ajoutés. Paris, 28 août 2014 VIII M ODE D ’ EMPLOI • Structure de l’ ouvrage Le schéma suivant montre la structure de l’ouvrage. Les flèches indiquent les relations logiques entre les chapitres. Les flèches épaisses définissent un cheminement « naturel » (le programme du cours de mécanique quantique du magistère d’Orsay). 1.4 & 1.5. Dualité onde−corpuscule, principe de superposition ¨ 2. Equation d’onde de Schrodinger 3. Formalisme de Dirac 4. Postulats de mesure 5. Postulat d’évolution 6. Symétries et lois de conservation 7. Oscillateur harmonique 8. Moment cinétique & Spin 9. Addition des moments cinétiques 11. Postulat de symétrisation 10. Théorie des collisions 12. Atome d’hydrogène 13. Méthodes d’approximation 14. Structures fine et hyperfine de l’atome H 15. Problèmes dépendant du temps © Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit. 16. Particule chargée en champ magnétique Les deux branches qui ne s’inscrivent pas dans le chemin principal correspondent à deux chapitres ajoutés à la version initiale des notes de cours. Le chapitre 10, qui pourra être sauté sans nuire à la compréhension globale, est d’un niveau plus ardu. • Structure des chapitres Chaque chapitre est organisé selon le schéma suivant : 1. Le cours, au sein duquel sont insérés de petits exercices d’illustration ; 2. À la fin du chapitre, sont énoncées les idées importantes qui ont été introduites ; 3. Annexes ; 4. Exercices, dont le degré de difficulté est précisé : F, MF, D ou TD ; 5. Problèmes. IX N OTATIONS def = ∼ ∝ N Z R C égal par définition approximativement égal à de l’ordre de proportionnel à ensemble des entiers naturels ensemble des entiers relatifs ensemble des nombres réels ensemble des nombres complexes Re(· · · ) partie réelle Im(· · · ) partie imaginaire z̄ ou z∗ complexe conjugué de z Tr { } trace · · · moyenne Var(· · · ) variance √ ΔX écart-type (= Var(X)) θH (x) fonction de Heaviside δ(x) distribution de Dirac symbole de Kronecker δi, j ψ̃(k) transformée de Fourier ψ(x) f ∗g produit de convolution ∇ gradient Δ Laplacien ψ(r; t) fonction d’onde ρψ (r; t) densité de probabilité Jψ (r; t) densité de courant de probabilité H espace de Hilbert |ψ vecteur d’état (ket) ψ| dual du vecteur d’état (bra) ψ | χ produit scalaire ⊗ produit tensoriel [, ] commutateur matrice identité de taille N 1N H hamiltonien J moment cinétique (générique) moment cinétique orbital S moment cinétique de spin X σ x , σy , σz Y m (θ, ϕ) Γ(z) ψ(z) C = ψ(1) B(μ, ν) Hn (z) Pn (z), Pm n (z) Lαn (z) Jν (z) Nν (z) Hν(1) (z) Kν (z) = h/(2π) c 0 μ0 me qe q2 e2 = 4πe 0 m∗ matrices de Pauli harmonique sphérique fonction Gamma d’Euler fonction digamma constante d’Euler-Mascheroni fonction Beta d’Euler polynôme d’Hermite polynômes de Legendre polynôme de Laguerre fonction de Bessel fonction de Neumann (Bessel de 2ème espèce) fonction de Hankel (Bessel de 3ème espèce) fonction de MacDonald (Bessel modifiée de 3ème espèce) constante de Planck célérité de la lumière permittivité diélectrique du vide permittivité du vide masse de l’électron charge de l’électron couplage électromagnétique masse effective Principales unités (système MKSA) m mètre kg kilogramme s seconde J Joule K Kelvin A Ampère C Coulomb V Volt Ω Ohm T Tesla F Farad I NTRODUCTION 1 1.1 Q U ’ EST - CE QUE LA MÉCANIQUE QUANTIQUE ? © Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit. Ses fondateurs considéraient la mécanique quantique comme le cadre théorique permettant de décrire le comportement de la matière et de la lumière aux échelles atomiques et subatomiques. Plus tard, avec la découverte de phénomènes quantiques macroscopiques, cette définition est néanmoins apparue trop restrictive. Cependant la définition du domaine quantique est déjà une question très délicate, aussi nous en resterons à ce premier point de vue, qui permet de toucher du doigt assez aisément la nécessité d’un abandon des concepts de la physique dite classique (nous entendons par là, la mécanique newtonienne et l’électromagnétisme) lorsque l’on s’intéresse aux échelles atomiques et subatomiques. Les notions qui constituent le socle de la physique classique ont été forgées à partir de notre expérience immédiate, or, si nous pouvons espérer deviner les lois fondamentales qui régissent le mouvement des corps matériels en analysant le mouvement d’une boule de billard, ou celui des planètes à l’aide d’un télescope, il n’y a a priori pas de raison évidente pour que ces lois s’appliquent encore dans le monde atomique et subatomique1 . Il n’est donc pas surprenant, rétrospectivement, que la description du comportement des atomes requière d’autres concepts que ceux utilisés pour analyser la dynamique des corps macroscopiques. Commençons par quelques considérations historiques afin de dresser un rapide tableau de l’état de la physique à la fin du xixe siècle, à la veille de plusieurs grands bouleversements. Elles nous aideront à mieux saisir les paragraphes suivants qui seront consacrés à une description succincte de la structure des théories physiques et de la mécanique quantique en particulier. 1. Aujourd’hui les progrès de la physique quantique nous permettent de « voir » les atomes à l’aide des microscopes à force atomique ou à effet tunnel (figure 2.2). C’était loin d’être le cas à la fin du xixe siècle et les propriétés du monde atomique ne pouvaient qu’être déduites indirectement d’observations aux échelles macroscopiques. La réalité des atomes était contestée par quelques grands noms de la physique (par exemple Ernst Mach), tenants d’une approche « continue » opposée à la description « atomiste ». On peut considérer que la question de l’existence des atomes fut tranchée définitivement par la validation expérimentale, en 1908, par Jean Perrin (1870-1942, prix Nobel 1926), de la description du mouvement brownien proposée par Einstein en 1905. Le mouvement erratique d’une petite particule déposée à la surface de l’eau révèle les chocs incessants avec les molécules du liquide. 1 Chapitre 1 • Introduction 1.2 B RÈVES CONSIDÉRATIONS HISTORIQUES Faisons un état des lieux en cette fin de xixe siècle. Il va de soi qu’une présentation de quelques pages ne peut être que très schématique. Nous évoquons ici les grandes théories cadres que sont : la mécanique newtonienne, l’électromagnétisme et la thermodynamique/physique statistique. 1.2.1 La mécanique newtonienne On peut faire remonter les premiers balbutiements de la mécanique newtonienne au début du xviie siècle avec la formulation du principe d’inertie par Galileo Galilei (1564-1642). Les principes de la mécanique, dont la formulation fut rendue possible par l’invention du calcul différentiel attribuée à Gottfried Wilhelm Leibniz (16461716) et Isaac Newton (1642-1727), furent établis par ce dernier (I. Newton, Philosophiae Naturalis Principia Mathematica, 1687). La mécanique newtonienne, en s’appuyant sur les notions de la cinématique (position, vitesse, accélération,...) et celle de force, permet de prédire le mouvement des corps solides à l’aide d’un certain nombre de lois universelles : • Le principe d’inertie : les lois de la mécanique sont les mêmes dans tous les référentiels inertiels. • Le principe d’action-réaction. • La relation fondamentale de la dynamique (RFD) reliant l’accélération a, i.e. une quantité cinématique, d’une particule de masse m, à la force F exercée sur celle-ci, i.e. une quantité dynamique2 : m a = F. • On doit ajouter à ces trois principes une quatrième loi fondant la théorie newtour , exercée par une nienne de la gravitation : la force d’attraction, FG = − GMm r2 masse M à l’origine, sur une masse en r = rur , où G 6.67 × 10−11 m3 kg−1 s−2 est la constante universelle de gravitation (il semble exister une controverse entre Newton et Robert Hooke (1635-1703) quant à la paternité de la loi en 1/r2 ). La théorie newtonienne a connu des succès éclatants, principalement pour la description du mouvement des corps célestes, culminant avec la découverte de Neptune par Urbain Le Verrier (1811-1877) grâce à l’analyse des aberrations de la trajectoire d’Uranus. Communiquée le 31 août 1846 devant l’Académie des sciences de Paris, sa prédiction de l’existence d’une nouvelle planète fut confirmée le 23 septembre par une observation de Johann Galle. 2. Nous sommes tellement habitués à la RFD que nous en oublions à quel point celle-ci ne va pas de soi ! C’est si vrai que des propositions antérieures reliaient la force à la vitesse, ce qui est contredit par une analyse expérimentale précise. 2 1.2. Brèves considérations historiques © Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit. 1.2.2 L’électromagnétisme Parallèlement à la théorie du mouvement des corps matériels, les phénomènes de natures électrique et magnétique étaient décrits par un certain nombre de lois finalement unifiées dans ce qui est aujourd’hui appelé l’électromagnétisme. La théorie des phénomènes électriques s’est développée principalement dans la seconde moitié du xviiie siècle. On peut citer les noms de Charles Augustin Coulomb (1736-1806), d’Alessandro Volta (1745-1827) et de Denis Poisson (1781-1840). Les phénomènes magnétiques étaient décrits depuis longtemps (les aimants furent découverts par les Grecs dès l’Antiquité), mais ce n’est qu’en 1820 que la relation entre les phénomènes magnétiques et électriques fut démontrée par une expérience réalisée par Hans Christian Œrsted (1777-1851) montrant que l’aiguille d’une boussole est influencée par le courant électrique traversant un fil disposé à proximité. Les contributions importantes furent apportées par André Marie Ampère (1775-1836), Jean-Baptiste Biot (1774-1862) et Michael Faraday (1791-1867). La construction du bel édifice fut parachevée par James Clerk Maxwell (1831-1879) qui donna une vision unifiée de l’ensemble des phénomènes à travers les fameuses quatre équations qui portent aujourd’hui son nom, présentées devant la Royal Society en 1864. Il est aujourd’hui considéré comme un des précurseurs de la vision moderne de la physique, pour avoir donné une place centrale à la notion de symétrie dans une théorie physique. C’est apparemment des considérations purement esthétiques (on dirait aujourd’hui « de symétrie ») qui le conduisirent à ajouter un dernier terme dans la dernière des quatre équations. Ces quatre équations aux dérivées partielles décrivent r, t) et magnétique B( r, t) : un premier couple la dynamique des champs électrique E( = 0 et rot (les deux E = − ∂t∂ B d’équations fixe des contraintes sur les champs div B champs dérivent des potentiels scalaire et vecteur) ; un second couple d’équations = 1 ρ et rot = μ0 j + 0 μ0 ∂ E couple les champs à des sources les générant, B divE 0 ∂t densité de charge ρ et densité de courant j. C’est à Oliver Heaviside (1850-1925) qu’on doit cette forme élégante des équations de Maxwell, que ce dernier avaient présentées sous la forme de vingt équations. Mentionnons également le rôle déterminant de Heinrich Rudolf Hertz (1857-1894) qui mit en évidence expérimentalement l’existence des ondes électromagnétiques, prédites par les équations de Maxwell, et montra que la lumière est une forme de rayonnement électromagnétique. 1.2.3 La physique statistique La dernière des théories cadres est la physique statistique, à laquelle on peut attacher les noms de Rudolf J.E. Clausius (1822-1888) et J. C. Maxwell, pour le développement de la théorie cinétique des gaz, J. W. Gibbs (1839-1903) et Ludwig Boltzmann (1844-1906). La physique statistique s’attache à l’étude des systèmes à très grand 3 Chapitre 1 • Introduction nombre de degrés de liberté (par exemple les gaz, les solides, etc.) et permet de déduire leurs propriétés aux échelles macroscopiques à partir de lois gouvernant les constituants élémentaires aux échelles microscopiques (par exemple l’échelle atomique pour les gaz). Basée sur un langage probabiliste, la masse d’information décrivant les détails de l’échelle microscopique est éliminée au profit d’un petit nombre de grandeurs : entropie statistique, température, pression, etc. Contrairement à la mécanique newtonienne et à l’électrodynamique, elle ne vise pas à décrire la dynamique des objets élémentaires, mais cherche au contraire à dégager des lois fondamentales contrôlant les phénomènes collectifs3 . La relation entre la physique statistique et les autres théories cadres est subtile puisque le choix de la dynamique microscopique (classique ou quantique) est indépendant de l’idée centrale du passage de l’élémentaire au collectif. 1.2.4 Les impasses de la théorie classique Si on résume la situation en cette fin de xixe siècle, il y a donc d’une part une théorie de la dynamique de la matière (la mécanique newtonienne), on pourrait parler de physique corpusculaire, d’autre part la théorie électromagnétique, qui est clairement de nature ondulatoire puisqu’elle décrit la dynamique des champs électrique et magnétique, ébranlements d’un milieu – le mystérieux éther ? – alors mal défini. Comme Hertz l’a démontré expérimentalement, cette théorie décrit les phénomènes lumineux : c’est une théorie du rayonnement. L’interaction entre matière et rayonne ment est assurée d’une part par l’introduction de la force de Lorentz F = q(E +v × B) dans la relation fondamentale de la dynamique, et d’autre part par les termes de sources donnant naissance aux champs, densité de charge ρ et densité de courant j, dans les équations de Maxwell (figure 1.1). En dépit des succès remarquables de ces deux théories, le bel édifice était remis en question à la fin du xixe siècle par un certain nombre de problèmes, loin d’être secondaires comme nous le verrons, qui ne trouvaient pas de solution dans ce cadre. Mentionnons une première difficulté : les équations de Newton et les équations de Maxwell ne sont pas invariantes sous le même groupe de transformations d’espacetemps : le groupe de Galilée laisse les premières invariantes tandis que le groupe de symétrie des secondes est le groupe de Poincaré. Autrement dit les deux théories ne sont pas affectées de la même manière par les transformations spatio-temporelles, ce qui contredit l’idée fondamentale de l’invariance des lois de la physique lors des changements de référentiels inertiels. L’incompatibilité entre groupes de symétrie des équations de Newton et de Maxwell fut résolue par l’élaboration, en 1905, d’une 3. Notons que la physique statistique s’oppose en cela à la thermodynamique : cette dernière se fonde directement sur l’échelle macroscopique et permet de construire des théories phénomènologiques, par contraste avec la physique statistique qui vise à construire des théories microscopiques. 4 1.2. Brèves considérations historiques Mécanique newtonienne Electromagnétisme dynamique des particules dynamique des champs discret localisées trajectoire (cinématique,...) Force de Lorentz F = q( E + v B) continu délocalisés Interaction Sources ρ(r,t) & j(r,t) Dynamique des milieux continus ondes (acoustiques, sismiques,... ) Figure 1.1– La dichotomie (classique) corpuscule-onde. nouvelle mécanique (non quantique) permettant de décrire les corps aux très grandes vitesses (comparables à la vitesse de la lumière) : la théorie de la relativité restreinte d’Einstein qui remit en cause les conceptions sur la structure de notre espace-temps. Le cœur de la théorie de la relativité restreinte, le principe de relativité, i.e. l’universalité des lois de la physique (mécanique et électromagnétisme) dans tous les réferentiels inertiels, apparaît comme une réponse aux expériences d’Albert Michelson et Edward Morley (entre 1881 et 1885) démontrant le caractère absolu de la vitesse de la lumière. Les problèmes profonds de la physique classique portent sur les mécanismes d’interaction matière-rayonnement. La discussion de ces questions est inextricablement liée à l’exploration de la structure de la matière aux échelles atomiques et subatomiques. a) La recherche des constituants élémentaires © Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit. • Les atomes Bien que l’hypothèse atomique (de « ατoμoς », indivisible) remonte à l’Antiquité grecque, ce n’est qu’au tout début du xxe siècle que l’existence des atomes fut mise en évidence en 1908 de manière indubitable par Jean Perrin, par son analyse du mouvement brownien et sa mesure du nombre d’Avogadro (NA 6.023 × 1023 atomes par mole). Les fluctuations, le mouvement erratique d’un grain de pollen à la surface de l’eau trouvant son origine dans les chocs incessants avec les molécules d’eau, révèlent la nature discrète de la matière. • Les électrons Les expériences d’ionisation des gaz raréfiés jouèrent un rôle important jusqu’à la démonstration, en 1897, de l’existence de l’électron par Joseph John Thomson (18561940, prix Nobel 1906), qui observa la déviation de rayons cathodiques (faisceaux 5 • Chapitre 1 Introduction d’électrons) d’une lampe à vide par un champ magnétique. L’expérience fournit une mesure du rapport de la charge par la masse qe /me . La mesure de la charge de l’électron qe −1.6 × 10−19 C, sera réalisée en 1910 par Robert Andrews Millikan (18681953, prix Nobel 1923). • La structure de l’ atome Au début du xxe siècle, deux modèles d’atome sont proposés. D’une part un modèle planétaire, proposé par Perrin en 1901, d’électrons interagissant avec un noyau chargé positivement via l’interaction coulombienne, d’autre part un modèle globulaire, proposé par Thomson en 1903, d’électrons se mouvant sur un fond continu chargé positivement assurant la neutralité électrique de l’atome (figure 1.2) [24]. La question sera tranchée par une série d’expériences dues à deux étudiants d’Ernest Rutherford (1871-1937, prix Nobel 1908), Hans Geiger (1882-1945) et Ernest Marsden (1889-1970) en 1909, et leur interprétation par Rutherford en 1911. Un faisceau de particules α (des noyaux d’hélium) est envoyé sur une mince (∼ 100 μm) feuille d’or. Si la plupart des particules α ne sont pas déviées, certaines sont diffusées avec de grands angles. L’observation de rétrodiffusion avait particulièrement frappé Rutherford et invalide le modèle de J. J. Thomson : la rétrodiffusion des particules α fortement énergétiques (v ≈ 1.8 × 107 m/s, i.e. Ec ≈ 7 MeV) ne peut s’expliquer que parce qu’elles rencontrent une concentration extrêmement forte de charges, le noyau atomique. Rutherford va plus loin et explique les données expérimentales à l’aide de son modèle théorique de diffusion d’une charge ponctuelle dans un champ coulombien (la particule α dans le champ du noyau d’or). e− e− e− e− e− e− e− e− Modèle globulaire (J.J.Thomson) Modèle planétaire (J.Perrin) Figure 1.2 – La structure de l’atome. À gauche : Deux modèles d’atomes. À droite : Principe des expériences de Geiger, Marsden et Rutherford : bombardement d’une feuille d’or (épaisseur ∼ 100 μm) par des particules α émises par une source radioactive de radium. • Les ions et les isotopes Francis William Aston (1877-1945, prix Nobel 1922) met au point en 1919 la technique de spectroscopie de masse consistant à dévier un faisceau d’atomes ionisés (des 6 1.2. Brèves considérations historiques ions) par un champ magnétique et à les trier en fonction de leur masse (d’où le nom de la technique). Il montre d’une part que les masses des noyaux sont (approximativement) quantifiées en multiples entiers de la masse du proton (le noyau de l’atome d’hydrogène), et d’autre part que la masse du noyau d’un même élément chimique peut fluctuer de quelques unités. L’existence de différents isotopes est derrière cette observation4 . • La radioactivité Une découverte importante, en 1896, est le phénomène de radioactivité par Henri Becquerel (1852-1908, prix Nobel 1903). Trois types de radioactivité furent observés : l’émission α (un noyau d’hélium), l’émission β (un électron) et l’émission γ (un photon). Le phénomène de radioactivité est une transition entre deux états du noyau atomique (émission γ) ou la transmutation d’un noyau (émission α et β). La découverte de la radioactivité était donc annonciatrice de la découverte du noyau atomique et son occurrence stochastique de la nature probabiliste de la théorie quantique (cf. chapitre 2 de l’ouvrage [3]) © Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit. b) Impasse n◦ 1 : L’instabilité classique des atomes Le problème qui paraît le plus grave est relatif à la question de la stabilité de la matière. L’expérience de Geiger-Marsden-Rutherford fournit donc une image claire pour la structure de l’atome : des électrons tournant autour d’un noyau chargé positivement. Or l’électron accéléré dans le champ électrique du noyau devrait émettre un rayonnement électromagnétique et voir son énergie (mécanique) diminuer. Le rayon de l’orbite de l’électron devrait alors diminuer et l’atome s’effondrer sur lui-même. Dans le cas de l’atome d’hydrogène, on trouve une durée de vie de 10−11 s (cf. exercice 15.5) ! La physique classique prédit donc que les atomes ont une durée de vie finie, extrêmement courte, ce qui est (heureusement pour nous) contredit par l’expérience. c) Impasse n◦ 2 : Absorption et émission de lumière L’absorption et l’émission de lumière par la matière révèlent un caractère discontinu qui ne s’explique pas dans le cadre classique. 4. Le nombre de neutrons dans le noyau varie d’un isotope à l’autre, par exemple dans le carbone 12 (6 protons et 6 neutrons) et le carbone 14 (6 protons et 8 neutrons). Les propriétés chimiques des isotopes sont identiques, puisqu’elles dépendent de la structure électronique, i.e. du nombre de protons, seule la masse varie. Pour éviter tout anachronisme, notons que le neutron, dont l’existence a été conjecturée par Rutherford en 1920, ne sera découvert qu’en 1932 par Chadwick. 7 Chapitre 1 • Introduction • Spectroscopie atomique Les expériences d’absorption ou d’émission de la lumière par un gaz atomique montrent que la lumière n’est absorbée/émise qu’à certaines fréquences discrètes5 . Cet ensemble de fréquences constitue le spectre de l’atome et joue le rôle de sa « carte d’identité ». Cette observation sera à l’origine du modèle de l’atome de Bohr : essentiellement le modèle d’atome planétaire auquel on ajoute une règle de quantification. • Effet photoélectrique Découvert par Heinrich Rudolf Hertz (1857-1894) en 1887, l’effet photoélectrique est l’émission d’électrons par un métal soumis à un rayonnement ultraviolet. Décrivons l’expérience : un morceau de métal est placé dans le vide et éclairé par un rayonnement ultraviolet monochromatique de pulsation ω. Une différence de potentiel V est appliquée entre le métal et une cathode. Le courant I d’électrons arrachés de l’anode est mesuré en fonction de la tension V (figure 1.3). Lorsque la tension est inférieure à la contre-tension V0 les électrons sont repoussés par la cathode et le courant électrique ne passe pas. V0 fournit donc une mesure de l’énergie cinétique maximale des électrons arrachés : max Ecel. = −V0 . I métal e− V I UV : intensité 2 UV ω vide −V0 UV : intensité 1 V0 0 V 0 ωs ω Figure 1.3 – Effet photoélectrique. À gauche : émission d’électrons par un métal soumis à un rayonnement ultraviolet monochromatique de pulsation ω. Au milieu : courant d’électrons arrachés en fonction de la tension. À droite : contre-tension en fonction de la pulsation. En augmentant l’intensité lumineuse du rayonnement monochromatique on augmente l’énergie déposée dans le métal. On pourrait penser qu’on augmente ainsi l’énergie cinétique des électrons arrachés, cependant il n’en est rien comme l’illustre la figure, puisque la contre-tension V0 est indépendante de l’intensité lumineuse. Seul le flux d’électrons arrachés varie. La contre-tension est tracée en fonction de la fréquence du rayonnement (figure 1.3). On observe l’existence d’une fréquence de seuil ω s en-deçà de laquelle 5. Il est intéressant de noter que dès 1905, Henri Poincaré (1854-1912) suggérait l’analogie entre l’existence des raies spectrales atomiques et les harmoniques de certaines équations différentielles apparaissant dans d’autres domaines de la physique (acoustique, théorie de l’élasticité, électromagnétisme) [12]. 8 1.2. Brèves considérations historiques la lumière n’est pas absorbée. Au-delà de cette fréquence, la relation entre contretension (i.e. énergie cinétique maximale des électrons) et fréquence est linéaire Ecel. = (ω − ω s ) (1.1) où est une constante universelle (alors que ω s dépend du métal, en est indépendante). L’existence du seuil, incompréhensible classiquement, suggère à Albert Einstein (1879-1955, prix Nobel 1921) en 1905 que l’énergie du rayonnement monochromatique ne peut être absorbée que par quanta Equantum = ω. L’équation (1.1) s’interprète comme un bilan d’énergie : l’énergie déposée par le rayonnement monochromatique (un multiple entier de « paquets » Equantum = ω) se distribue pour partie en énergie cinétique de l’électron, et pour partie en énergie potentielle nécessaire pour l’arracher au métal, au minimum ω s , expliquant le seuil. © Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit. • Équilibre thermique lumière/matière Dans une étoile, les photons émis lors de la nucléo-synthèse diffusent depuis le cœur vers les couches externes. Les multiples processus d’émission/absorption conduisent à l’existence d’un équilibre thermique entre matière et lumière. En supposant le système isolé et à l’équilibre (« corps noir »), ce qui suppose que les pertes d’énergie sont faibles relativement, la thermodynamique prédit que la distribution des fréquences du rayonnement est une loi universelle, uniquement fonction de la température T (remarquons que la température correspondant au rayonnement émis par l’étoile est celle des couches externes, quelques milliers de K, et non du cœur beaucoup plus chaud, quelques millions de K). Notons u(ω, T )dω la densité (volumique) d’énergie des fréquences de l’intervalle [ω, ω + dω]. La physique classique prédit une densité présentant le comportement uRJ (ω, T ) ∝ T ω2 (la loi de Rayleigh-Jeans, obtenue par Lord Rayleigh en 1900 puis corrigée en 1905 par James Jeans, est déduite du théorème d’équipartition de l’énergie de la physique statistique). Elle conduit à une densité d’énergie infinie après intégration sur les fréquences : Ehrenfestévoquera en 1911 une « catastrophe ultra∞ violette » pour désigner cette divergence 0 dω uRJ (ω, T ) = ∞. D’autre part, Whilhelm Wien (1864-1928, prix Nobel 1911) avait obtenu en 1894 la loi portant son nom uWien (ω, T ) = ω3 f (ω/T ) ; pour rendre compte des expériences, il propose en 1896 une forme exponentielle décroissante, f (x → ∞) A e−Bx où A et B sont des constantes universelles. En 1900, Max Planck (1858-1947, prix Nobel 1918) démontre la loi qui portera son nom, interpolant entre les lois de Rayleigh-Jeans et de Wien et en bon accord avec l’expérience : uPlanck (ω, T ) = ω2 1 ω , 2 3 exp(ω/kB T ) − 1 π c (1.2) 9 Chapitre 1 • Introduction où kB est une autre constante universelle appelée la constante de Boltzmann (cf. cours de physique statistique). Il identifie l’existence d’une nouvelle constante fondamentale, . Dans sa démonstration, afin de reprendre une méthode combinatoire due à Boltzmann, Planck supposait l’énergie quantifiée. Alors qu’il ne voyait qu’un artifice technique dans cette idée, celle-ci jouera un rôle central dans les travaux ultérieurs d’Einstein [16]. 1.2.5 Une nouvelle constante fondamentale : la constante de Planck Il est remarquable de constater que l’étude de deux problèmes à première vue aussi différents que la thermodynamique du rayonnement dans une étoile et l’irradiation d’un morceau de métal font apparaître la même constante universelle . Analysons sa dimension : l’expression (1.2) montre que ω est une énergie, autrement dit permet de convertir une pulsation en énergie [] = [Energie] [Temps] (1.3) = [Longueur] [Impulsion] (1.4) = [Moment cinétique] (1.5) C’est aussi la dimension d’une action, une grandeur physique introduite dans le cadre de la formulation lagrangienne de la mécanique classique (cf. annexe 1.B), ce qui explique pourquoi la constante de Planck est dénommée le quantum d’action. Sa valeur, = 1.054 571 68(18) × 10−34 J.s (1.6) extrêmement petite comparée aux échelles physiques caractérisant le monde qui nous entoure (∼1 kg, ∼1 m, ∼1 s ⇒ action∼1 J.s), suggère que les phénomènes quantiques n’émergent qu’à de très petites échelles (dans les deux exemples, les processus microscopiques d’interaction entre matière et rayonnement sont en jeu). Exercice 1.1 (F) a) Donner l’expression de l’action de la terre pendant une révolution autour du soleil, l’orbite étant supposée circulaire. Calculer S ♁ en unité de . G 6.67 × 10−11 kg−1 m3 s−1 , M 2 × 1030 kg, M♁ 6 × 1024 kg et Rt−s = 1 u.a 150 × 106 km. b) Calculer l’action d’un électron décrivant une orbite circulaire autour d’un proton (un atome d’hydrogène) pendant une période. On rappelle que le potentiel cou2 q2 lombien est V(r) = − 4πe0 r ≡ − er . On considèrera une orbite circulaire de rayon a0 = 10 2 me e2 = 0.53 Å. 1.3. La structure des théories physiques 1.3 L A STRUCTURE DES THÉORIES PHYSIQUES On peut véritablement parler de « révolution quantique » puisque les fondateurs de la mécanique quantique ont été progressivement amenés à remplacer le cadre conceptuel et à abandonner les notions servant de socle à la mécanique classique. C’est une des difficultés principales de l’enseignement de la mécanique quantique : il faut laisser de côté un certain nombre de notions devenues intuitives à l’usage. De quelle remise à plat des concepts parle-t-on ? Pour apprécier cela il est bon de revenir sur la structure des grandes théories physiques. Nous considérons les théories cadres évoquées plus haut, que nous pourrions appeler les « superthéories », dans lesquelles s’imbriquent des théories plus spécifiques, au sein desquelles on construit des modèles. Superthéorie EXEMPLE: Mécanique newtonienne Cadre conceptuel (notions de base, outils) Postulats (relations entre les notions) * Principe d’inertie * Action−réaction * Relation fondamentale de la dynamique Théories plus spécifiques * Théorie de la gravitation newtonienne Modèles © Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit. * Calcul différentiel * Cinématique (position, vitesse, accélération) * Etat d’une particule ponctuelle:( r, p ) * Modèle planétaire * etc Toute théorie est basée sur un certain nombre de postulats (axiomes) qui doivent obéir à quelques règles transcendantes, telles que la causalité, la conservation de l’énergie-impulsion d’un système isolé. D’autres choix axiomatiques conduiraient à des conclusions différentes. C’est donc la confrontation à l’expérience qui permet de valider la pertinence du choix des axiomes. La justesse d’une théorie physique n’est donc pas seulement dans sa construction mais aussi dans la validité de son application. Par exemple, reconsidérons la proposition aristotélicienne de décrire la dynamique des corps en mouvement en postulant la proportionnalité entre vitesse On sait que cette relation est démentie par l’expérience de la et force : λv = F. chute des corps (elle a aussi la désagréable propriété de ne pas respecter le principe de relativité). Cela ne la rend pas pour autant absurde et il est possible de trouver des situations décrites par cette relation : le cas d’une particule en milieu fortement visqueux. 11 Chapitre 1 • Introduction Notons enfin que le statut d’une théorie peut varier comme le montre l’exemple de la théorie de la gravitation. Alors que dans le cadre newtonien la théorie de la gravitation apparaît comme une théorie spécifique décrivant l’interaction entre masses, la théorie de la relativité générale einsteinienne intègre la gravitation au cadre général. • La polymorphie des théories physiques Il est intéressant de noter qu’une même théorie peut apparêtre sous plusieurs formes, basées sur des concepts et des postulats différents. Les variantes de la théorie sont toutefois strictement équivalentes. Un exemple est fourni par la mécanique classique, qui peut être formulée dans le cadre newtonien basé sur les postulats rappelés ci-dessus. Elle peut également être formulée dans le cadre lagrangien ou encore hamiltonien ; le postulat permettant de déduire les équations du mouvement est alors le principe de moindre action de Pierre Louis Moreau de Maupertuis (1698-1759). L’existence de plusieurs formulations équivalentes et complémentaires est une des richesses de la physique théorique. Elles fournissent différents angles pour attaquer les problèmes. • Les limites des théories – Le rôle des constantes fondamentales Comme nous l’avons déjà illustré, le cadre délimite une zone hors de laquelle l’application de la théorie n’a pas de sens. Par exemple, personne ne remet en cause les succès de la théorie newtonienne qui est une excellente approximation, dans le domaine classique, de théories plus générales. Elle nous apparaît aujourd’hui cernée de plusieurs côtés. En allant vers les hautes énergies, on doit lui substituer la théorie de la relativité restreinte einsteinienne (1905). Du côté des champs de gravitation intenses, on doit lui substituer la théorie de la relativité générale (gravitation einsteinienne, 1916). Enfin, du côté des échelles microscopiques elle cède bien sûr la place à la mécanique quantique (1927). Dans la tentative de définition d’un domaine d’application des théories, les constantes fondamentales jouent un rôle très important. Rappelons que les constantes fondamentales associées aux quatre théories fondamentales sont : la vitesse de la lumière c (relativité restreinte et électromagnétisme), la constante de gravitation universelle G, la constante de Boltzmann kB (quantum d’entropie) pour la physique statistique et enfin la constante de Planck (quantum d’action) pour la mécanique quantique. Les constantes fondamentales permettent de définir des échelles de longueur, d’énergie, etc, qui définissent les frontières entre les théories. Par exemple, la vitesse de la lumière c permet de discriminer le domaine non relativiste (faible énergie cinétique Ec mc2 ) et le domaine relativiste (Ec mc2 ). Puisque la constante fondamentale quantique a la dimension d’une action on peut proposer le critère suivant 12 1.4. Aperçu des postulats de la mécanique quantique (cf. exercice 1.1) : Action : classique (1.7) Action ∼ : quantique . (1.8) Cependant la définition du domaine quantique n’est malheureusement pas aussi simple (cf. par exemple la discussion clôturant la section 4.2, page 84). Une distinction très importante entre mécanique classique et mécanique quantique est l’existence de phénomènes d’interférences quantiques. Or ces derniers sont extrêmement fragiles et une limitation pratique rendant leur observation difficile, i.e. limitant la cohérence, est l’interaction d’un système quantique avec le monde extérieur, extrêmement difficile à contrôler. 1.4 A PERÇU DES POSTULATS DE LA MÉCANIQUE QUANTIQUE Cette section donne un aperçu de la structure de la mécanique quantique : les postulats sont rapidement énoncés, regroupés en « concepts » et « postulats ». La pédagogie est ici sacrifiée afin de donner une vue d’ensemble. Les postulats seront introduits plus « en douceur » dans les chapitres 3, 4, 5 et 11. © Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit. 1.4.1 Les concepts Dans la mécanique newtonienne, l’état d’une particule ponctuelle est défini à un instant t par des données cinétiques, une position r(t) et une impulsion p(t), ce qui détermine l’évolution ultérieure, i.e. la trajectoire. En revanche, la notion de trajectoire disparaît dans le cadre quantique et les notions de position et d’impulsion, qui ne peuvent plus être déterminées simultanément, prennent un statut assez différent comme nous le verrons. Comment décrire alors l’état d’une particule quantique (un quanton, pour employer une terminologie chère aux auteurs de [35]) telle qu’un électron ? • L’état d’une particule est décrit par une fonction d’onde ψ(r, t) (chapitre 2), une fonction complexe. De manière plus abstraite, l’état est spécifié par la donnée d’un « vecteur d’état », noté | ψ , élément d’un espace de Hilbert H . L’espace des états H est un espace vectoriel, en général de dimension infinie, construit sur le corps des complexes C et muni du produit hermitien (produit scalaire), noté ϕ | ψ , satisfaisant la propriété : ϕ | ψ = ψ | ϕ ∗ . Il s’exprime en terme des fonctions d’onde correspondantes comme : def ϕ|ψ = dr ϕ(r)∗ ψ(r) (1.9) 13 Chapitre 1 • Introduction • Interprétation probabiliste. La fonction d’onde représente une amplitude de densité de probabilité. |ψ(r, t)|2 dr mesure la probabilité de trouver la particule à l’instant t dans le volume dr autour de r. Une conséquence immédiate est la contrainte de normalisation dr |ψ(r, t)|2 = 1 (1.10) qui exprime que « la probabilité d’être quelque part vaut 1 ». • Les quantités physiques, les observables, sont représentées par des opérateurs linéaires6 (chapitre 3) agissant dans l’espace des états H (i.e. sur les fonctions d’onde). Par exemple, l’opérateur de position agit comme la multiplication de la fonction d’onde par r, tandis que l’opérateur d’impulsion agit comme l’action du (une justification sera proposée au début gradient sur la fonction d’onde : p → −i∇ du chapitre 3). 1.4.2 Les postulats • Le postulat de symétrisation. Le premier des postulats, qui sera le dernier discuté dans le cours (chapitre 11), concerne les propriétés de permutabilité de la fonction d’onde à N particules identiques. Des particules identiques sont indiscernables. La fonction d’onde ψ(r1 , · · · , rN ) doit donc être symétrisée par rapport aux permutations de particules. Si les particules sont des bosons (photons, mésons, etc.), la fonction d’onde doit être invariante sous l’action de la permutation de deux particules : ψbosons (· · · , ri , · · · , r j , · · · ) = + ψbosons (· · · , r j , · · · , ri , · · · ). (1.11) Si les particules sont des fermions (électrons, protons, neutrons,...), la fonction d’onde est antisymétrique : ψfermions (· · · , ri , · · · , r j , · · · ) = − ψfermions (· · · , r j , · · · , ri , · · · ). (1.12) La nature bosonique ou fermionique est déterminée par le moment cinétique intrinsèque de la particule (son spin). 6. Cette règle paraît à première vue très abstraite. Cependant on peut essayer d’en donner une justification heuristique en se souvenant que les expériences mettent en évidence une quantification des grandeurs physiques : par exemple l’existence des raies spectrales d’absorption/émission d’un gaz atomique s’interprète comme une quantification de l’énergie, ou l’expérience de Stern et Gerlach démontre la quantification du moment cinétique intrinsèque des atomes d’argent (§ de la section 8.2.3). Or un opérateur linéaire est précisément caractérisé par un spectre de valeurs (ses valeurs propres). 14 1.4. Aperçu des postulats de la mécanique quantique Les deux autres postulats expriment qu’il y a deux types d’évolution : • Une évolution stochastique et irréversible : le processus de mesure (chapitre 4). Lorsque l’état d’une particule (microscopique) est sondé par un appareil de mesure (macroscopique), on conçoit que l’état de la particule n’en ressort en général pas indemne7 . Le postulat s’énonce comme suit : considérons une particule dans un état | ψ et une observable A (par exemple l’impulsion), représentée par un opérateur A dans le cas de l’impulsion) et dont les valeurs agissant dans l’espace des états (−i∇ propres et les vecteurs propres sont notés {an , | ϕn }. Le résultat de la mesure de A est aléatoire mais ne peut être que l’une des valeurs propres de l’opérateur A : la mesure donne la valeur propre an avec probabilité Proba[A an ] = |ϕn |ψ|2 . Après la mesure l’état du système est | ψfinal = | ϕn . Pour évoquer cette altération stochastique de la fonction d’onde, on parle de réduction du paquet d’ondes. • Une évolution déterministe et réversible (d’un objet de nature probabiliste) : l’évolution temporelle (chapitre 5). L’évolution de la fonction d’onde est gouvernée par l’équation de Schrödinger : i 2 ∂ ψ(r, t) = − Δψ(r, t) + V(r, t) ψ(r, t) ∂t 2m (1.13) ∂ ∂ ∂ où Δ = ∂x 2 + ∂y2 + ∂z2 est l’opérateur de Laplace. L’équation de Schrödinger joue en mécanique quantique le rôle de la relation fondamentale de la dynamique en mécanique newtonienne. def 2 2 2 © Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit. 1.4.3 Difficultés de l’interprétation « We have made a number of assumptions about the way in which states and dynamical variables are to be represented mathematically in the theory. These assumptions are not, by themselves, laws of nature, but become laws of nature when we make some further assumptions that provide a physical interpretation of the theory. Such further assumptions must take the form of establishing connexions between the results of observations, on one hand, and the equations of the mathematical formalism on the other. » The principles of quantum mechanics, Paul Dirac. Les quelques règles que nous venons d’énoncer suivent « l’interprétation de Copenhague », en référence à la synthèse opérée par Bohr en 1927 [16]. Si elles définissent un mode opératoire qui a démontré sa puissance et n’a jusque là pas été mis en défaut, la question de leur interprétation continue à susciter des débats, plus de 80 ans 7. Des « mesures non destructives » ont pu être réalisées récemment (cf. fin du § sur les repères historiques). 15 Chapitre 1 • Introduction après l’émergence de la mécanique quantique. La difficulté vient de la juxtaposition des deux types d’évolution. Considérée isolément, l’équation de Schrödinger (1.13) pourrait suggérer que la mécanique quantique est une physique ondulatoire au même titre que l’optique ou l’acoustique développées au xixe siècle, mais pour des ondes de matière. Le point délicat vient de l’interprétation probabiliste, qui implique que l’équation de Schrödinger ne sélectionne pas une « réalité » unique, mais décrit l’évolution cohérente de plusieurs éventualités (la superposition de plusieurs « réalités »). C’est la réduction du paquet d’ondes, au moment de la mesure, qui sélectionne de manière stochastique un résultat unique (une des « réalités » possibles) [28, 39]. Nous reviendrons sur ce point au § 4.2.b. 1.4.4 Différentes formulations Distinguons plusieurs présentations du formalisme quantique : • Dans celle que nous donnerons, nous analyserons l’évolution temporelle de l’état quantique. L’analyse spectrale des opérateurs sera centrale (en particulier celui représentant l’énergie, qui joue un rôle particulier dans l’évolution). On peut voir cette présentation comme la quantification de la formulation hamiltonienne de la mécanique analytique. • La formulation d’intégrale de chemin, développée par R. Feynman [18]. Basée sur la formulation lagrangienne de la mécanique classique. Elle s’attache plutôt à l’analyse des amplitudes de probabilité de transition. • Enfin, la théorie quantique des champs (le formalisme de « seconde quantification ») permet de traiter les problèmes dans lesquels le nombre de particules n’est pas conservé, ou lorsqu’elles se transforment, ce qui est important dans certains domaines comme la physique des particules ou la matière condensée. 1.5 P REMIÈRES CONSÉQUENCES IMPORTANTES Il ne s’agit pas d’énumérer dans ce paragraphe toutes les conséquences des règles apparemment simples que nous venons d’énoncer, ce qui suffirait à nous occuper pendant tout un cycle universitaire, mais plutôt de mentionner quelques points particuliers. 1.5.1 La dualité onde-corpuscule La mécanique quantique ne permet pas seulement de développer une « mécanique » des particules de matière (électron, proton, neutron, ...) mais également une théorie de la lumière. Elle abandonne complètement la dichotomie ma16 1.5. Premières conséquences importantes tière=corpuscule/rayonnement=onde : les deux notions corpusculaire et ondulatoire se fondent dans la dualité éponyme décrivant aussi bien matière que lumière. Comment cette dualité se manifeste-t-elle dans le formalisme ? Rappelons que deux notions à la base des théories ondulatoires sont celles de fréquence et de lon gueur d’onde. Une onde plane monochromatique eik·r−iωt est caractérisée par sa pulsation ω et un vecteur d’onde k. Or la formulation schrödingerienne montre que la mécanique quantique est une physique ondulatoire... mais pas seulement. Une particule libre est caractérisée par son énergie E et son impulsion p. La correspondance entre les concepts corpusculaires et ondulatoires est assurée par les deux importantes relations suivantes : • La relation de Planck-Einstein E = ω (1.14) ayant permis d’expliquer l’effet photoélectrique, l’existence de raies spectrales dans les spectres atomiques, etc. • La relation de L. de Broglie p = k (1.15) rendant compte de l’effet Compton, des expériences de Davisson et Germer de diffraction d’électrons, etc. • Onde plane Une onde plane φk (r, t) = A eik·r−iωt décrit donc l’état quantique pour une particule libre d’impulsion p = k et d’énergie E = ω. © Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit. Exercice 1.2 (F) Écrire la relation de dispersion (relation entre ω et k) pour une particule non relativiste de masse m, puis pour une particule relativiste. 1.5.2 Le principe de superposition Une conséquence immédiate du premier des postulats (l’état quantique est décrit par une fonction d’onde, i.e. un élément d’un espace vectoriel) : il est possible de construire des combinaisons linéaires de tels états. Soient deux états normalisés ψ1 (x) et ψ2 (x), il est légitime de considérer ψ(x) = α ψ1 (x) + β ψ2 (x) où α, β ∈ C. (1.16) Discutons maintenant l’utilité de ce concept. 17 Chapitre 1 • Introduction a) Expérience d’interférences d’Young Le dispositif des fentes d’Young est une des expériences les plus simples permettant de mettre en évidence les phénomènes d’interférences. Réalisée au tout début du xixe siècle par Thomas Young (1773-1829) pour démontrer le caractère ondulatoire de la lumière, l’expérience peut être répétée pour tous types d’ondes. Avec des particules de matière dans le domaine quantique, l’expérience permet de mettre en lumière plusieurs questions fondamentales : le caractère ondulatoire, l’interprétation probabiliste et la dualité onde-corpuscule. Figure 1.4 – Expérience d’interférences d’Young. particules S (1) D (2) détecteur Le principe de superposition nous permet d’analyser l’expérience, schématisée sur la figure 1.4. Un faisceau de particules, collimaté par un trou jouant le rôle de source (« S »), est envoyé sur un écran percé de deux trous. Un détecteur de particules (« D ») pouvant être déplacé verticalement compte les particules à la sortie du dispositif. Les particules suivent soit le chemin (1), associé à l’amplitude de probabilité ψ1 (S → D), soit le chemin (2) associé à l’amplitude ψ2 (S → D). Si les particules, d’impulsion p = k = 2π/λ, se déplacent librement (entre les fentes) les amplitudes sont données par ψ1 (S → D) ∝ eik 1 et ψ2 (S → D) ∝ eik 2 (ondes planes), où 1 et 2 sont les longueurs des chemins. Si aucun mécanisme ne sélectionne une des deux trajectoires (comme sur la partie gauche de la figure 1.5), l’amplitude de probabilité au niveau du détecteur est une superposition des deux amplitudes. La probabilité correspondante, 1 Proba[S → D] = |ψ1 (S → D) + ψ2 (S → D)|2 ∝ cos2 [π( 1 − 2 )/λ], (1.17) 2 présente des franges d’interférences lorsque le détecteur est déplacé et que 1 − 2 varie. L’existence d’une figure d’interférences repose donc crucialement sur le fait que le principe de superposition s’applique aux amplitudes de probabilité et non aux probabilités (figure 1.5). Jusque là, l’analyse ressemble banalement à l’expérience d’Young pour une onde classique. L’expérience devient intéressante lorsque le flux de particules est suffisamment faible pour détecter les particules une à une (aspect corpusculaire). Si on attend qu’un grand nombre de particules soient passées, les impacts apparaissant aléatoirement en différents endroits s’accumulent préférentiellement dans certaines régions, faisant ainsi apparaître la figure d’interférences (aspect ondulatoire). De telles expériences d’interférences ont été réalisées pour de nombreux types de particules : 18 1.5. Premières conséquences importantes + x P(x) particules P(x) particules x particules x P(x) Figure 1.5 – Principe de superposition. Probabilité P(x) d’observer des particules sur l’écran dans trois situations. Le principe de superposition ne s’applique pas aux probabilités (ce qu’on aurait pu attendre classiquement) mais aux amplitudes de probabilités d’où la figure d’interférences. 400 4000 # de molécules (/100s.) # de neutrons (/125min.) photons, électrons, neutrons (figure 1.6), atomes, molécules. La figure 1.6 montre le résultat récent de la très spectaculaire expérience d’interférences réalisée avec un faible flux (au plus 4 molécules détectées par seconde) de molécules de fullerène8 . 3000 2000 1000 0 0 100 200 300 400 500 Position du détecteur 600 700 (μm) 800 300 200 100 0 150 100 50 0 50 Position du détecteur 100 150 ( μm) Figure 1.6 – Interférences de particules. À gauche : Expérience d’Young réalisée avec des neutrons de longueur d’onde λ 2 nm (i.e. vitesse v 200 m.s−1 ). Données tirées de : A. Zeilinger, Rev. Mod. Phys. 60, 1067 (1988). À droite : Diffraction de molécules de fullerène (C60 ) par un réseau de fentes. Longueur d’onde : λ 4 pm (i.e. v 130 m.s−1 ). Données tirées de O. Nairz, M. Arndt & A. Zeilinger, Am. J. Phys. 71, 319 (2003). © Dunod. Toute reproduction non autorisée est un délit. b) Double puits de potentiel Une autre conséquence surprenante du principe de superposition est fournie par l’exemple d’une particule dans un double puits de potentiel. Donnons nous une fonction d’onde ψG (x), respectivement ψD (x), décrivant la particule dans le puits de gauche, respectivement de droite (figure 1.7). Nous pouvons concevoir une combinaison linéaire de ces deux états, qui décrit donc une situation où la particule est à la fois dans le puits droit et dans le puits gauche. Nous verrons au chapitre 5 que lorsque les deux puits sont symétriques, l’état de plus basse énergie (état fondamental) est donné 8. Articles de revue : O. Nairz, M. Arndt & A. Zeilinger, Quantum interference experiments with large molecules, Am. J. Phys. 71, 319 (2003). A. Cronin, J. Schmiedmayer & D. E. Pritchard, Optics and interferometry with atoms and molecules, Rev. Mod. Phys. 81, 1051 (2009). 19 Chapitre 1 • Introduction ΨGx 1.5 1.5 Vx40 1.0 1.0 0.5 0.5 0.0 2 1 0 1 0.0 2 ΨDx Vx40 2 1 x 0 1 2 x 1.5 1 Ψ0x 2 1.0 ΨGxΨDx 0.5 0.0 2 1 0 1 2 x Figure 1.7 – Principe de superposition. Une particule piégée dans un double puits de potentiel. On a dessiné l’allure de la fonction d’onde ψG (x) [resp. ψD (x)] décrivant l’état « particule dans le puits gauche » (resp. droit). La fonction d’onde ψ0 (x) de l’état de plus basse énergie, représentée en bas, est très proche de la combinaison linéaire √1 [ψG (x) + ψD (x)] et décrit un état « particuleà la fois 2 dans le puits gauche et le puits droit ». par ψ0 (x) √1 ψG (x) + ψD (x) (une telle situation se produit par exemple dans la 2 molécule d’ammoniac NH3 , cf. exercice 6.2 page 108). 1.5.3 Particule libre dans une boîte : quantication L’étude d’une particule confinée dans une région finie de l’espace est ce qu’on appelle un problème « d’états liés » (par exemple l’étude du mouvement d’une planète autour du soleil ou d’un électron autour du proton). Quelles sont les conséquences d’un traitement quantique ? Pour répondre à cette question nous étudierons une situation unidimensionnelle. Nous considérons une particule libre astreinte à se déplacer dans l’intervalle [0, a] de R. Cette situation est réalisée pour un potentiel nul dans [0, a] et infini hors de l’intervalle. Classiquement la particule (de masse √ m) d’énergie E effectue des aller-retours dans le puits, à vitesse constante v = ± 2E/m. Sa fonction particule libre se déplaçant d’onde est donc soit une onde plane eikx décrivant une √ dans le sens des x > 0, d’impulsion p = mv = +k = 2mE, soit une onde plane e−ikx décrivant une particule allant dans le sens opposé, d’impulsion p = −k. Écrivons (principe de superposition) ϕ(x) = A eikx + B e−ikx . 20 (1.18) ">

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