Alexandre Voisard Prose II Opera buffa Je ne sais pas si vous savez Un train peut en cacher un autre Maîtres et valets entres deux orages « Coda » Textes présentés par André Wyss Alexandre Voisard L’Intégrale 6 camPoche Les huit volumes des Œuvres d’Alexandre Voisard sont publiés avec les appuis de l’Association des Amis d’Alexandre Voisard, de la Banque Cantonale du Jura, de Clientis (Banque Jura Laufon), du Canton du Jura, de la Commune de Fontenais, de la Fondation Anne et Robert Bloch, de l’Office de la culture du canton de Berne, du Pour-cent culturel Migros, de Pro Helvetia Fondation suisse pour la culture. L’auteur et l’éditeur les en remercient. « Prose II. Opera buffa », sixième volume des Œuvres d’Alexandre Voisard, cent quatre-vingt-dix-septième ouvrage publié par Bernard Campiche Éditeur, édité sous la direction d’André Wyss, a été réalisé avec la collaboration de Line Mermoud, Huguette Pfander, Marie-Claude Schoendorff, Daniela Spring et Julie Weidmann Couverture et mise en pages : Bernard Campiche Illustration de couverture : aquarelle d’Alexandre Voisard, du manuscrit inédit « Abornage d’une histoire incertaine », avec pour légende « Et pour mémoire : poser son pas du jour dans l’atlas des empreintes » Photogravure : Bertrand Lauber, Color+, Prilly, & Cédric Lauber, L-X-ir Images, Prilly Impression et reliure : Imprimerie Clausen & Bosse, Leck (Ouvrage imprimé en Allemagne) ISBN 978-2-88241-197-6 Tous droits réservés © 2007 Bernard Campiche Éditeur Grand-Rue 26 – CH-1350 Orbe www.campiche.ch OPERA BUFFA 1 Il me faudra bien, cette fois-ci, parler d’une rupture, et même d’un choc. Rien dans l’œuvre d’Alexandre Voisard ne laissait prévoir un ouvrage du ton de Je ne sais pas si vous savez. Seuls ses amis très intimes pouvaient se douter qu’un beau jour ce qu’il y avait de plus caustique dans sa personnalité, ce qu’il y avait de plus franchement drôle dans sa manière de raconter des histoires, ce qu’il y avait de plus libre et de plus débridé dans son imagination, deviendrait du texte et de la littérature. Voici donc s’ouvrir ce que le poète nommera plus tard son opera buffa. Le terme est approprié par le fait que tout cela, aussi prosaïques qu’en soient les thèmes, les façons et les figures, pourrait continuer de chanter comme chante l’opera seria des volumes précédents, quoique d’un tout autre ton. Buffa : on pense à ce qu’il y a de très libre 1 Alexandre Voisard. Je ne sais pas si vous savez. Vevey : Éditions B. Galland, 1975. Un train peut en cacher un autre. Vevey : Éditions B. Galland, 1979. Maîtres et valets entre deux orages. Yvonand : Bernard Campiche Éditeur, 1993. « Coda », in : Empreintes, catalogue. Lausanne : Éditions Empreintes, 1992. –3– dans les façons de Mozart au quotidien, on pense aux « péchés de ma vieillesse » de Rossini, au Falstaff énorme et si spirituel de Verdi. Il faut se rappeler aussi les raffinements de ces mêmes musiciens dans le comique, au Beaumarchais qui est derrière les Noces de Figaro mozartiennes et Le Barbier de Séville rossinien, au sel attique et à l’esprit méditerranéen qui règne dans le Falstaff de Verdi. Dans Je ne sais pas si vous savez, ce livre alors unique de Voisard et qui trouvera quinze ans plus tard son frère cadet avec Maîtres et valets entre deux orages, c’est l’humour et l’ironie sous toutes leurs formes, ainsi qu’une imagination incroyablement féconde et pourvoyeuse de surprises. Dans l’excellente postface que Nicolas Bouvier écrivit pour la réédition du livret en Mini-Zoé, il est question de « brèves de comptoir ». Ce sont de petites histoires en effet, mais que je voudrais appeler plutôt des miniatures, ou encore des fables-express, car elles en disent long, très long, si l’on est prêt à lire des pochades comme s’il s’agissait de paraboles. Mais ce sont aussi des poèmes en prose – dans une prose prosaïque s’entend, très éloignée de la prose que le poète pratiquait jusqu’ici – car l’unité de chaque pièce est patente ; tout tourne, dans chacun des textes, autour d’une idée, d’une chute, d’une surprise. Ces miniatures sont écrites soit à partir de leur titre, soit, plus vraisemblablement encore, à partir de leur dernière phrase. Ou encore, de la situation tout à fait unique où nous mettent l’idée, l’intuition, l’effet de surprise, et qui, soit dans le titre, soit dans la dernière phrase, soit au cœur de la fable-express, retentit sur tous les éléments qui la composent. Et toujours en léger décalage par rapport à ce qui serait raisonnable. –4– C’est le règne sans partage du clinamen des premiers atomistes, de ce léger incident qui fait que les choses communes ne se déroulent pas comme on devrait s’y attendre, ce clinamen qui fait de ce livre un petit chef-d’œuvre de ‘pataphysique. * * * Ce qui distingue Maîtres et valets entre deux orages de son « modèle » bien antérieur, ce n’est pas grand-chose : l’esprit en est tout à fait le même, et il n’a pas vieilli en quinze ans. Les textes sont peut-être un peu plus longs, et surtout, ils sont maintenant parcourus par une figure récurrente, celle de M. Buvard, Anselme Buvard. À travers lui, le poète fait discrètement signe à Henri Michaux, qui avait créé le personnage de Plume, plus juvénile, plus ahuri, moins rusé que Buvard, mais tout aussi imprévisible. Buvard est aussi un double du narrateur : poète à ses heures, et sachant parler aux dames. * * * Entre ces deux livres se place un ouvrage qu’on peut ranger dans l’opera buffa ; c’en est l’esprit (et c’est d’ailleurs dans ces pages qu’Anselme Buvard fait sa première apparition, en narrateur de l’un des textes), même si c’est en plus sombre, même si la forme est assez différente de celle des deux recueils dont je viens de parler : Un train peut en cacher un autre est un ensemble de six récits –5– – ainsi les dénomme la couverture, et il s’y raconte en effet quelque chose. D’autres auteurs les auraient rangés dans le genre de la nouvelle, mais voilà, il ne s’agit pas de « short novels », de romans racontés en quelques pages ; il s’agit de quelque chose qui n’a pas de nom, et dont le nom, s’il y en avait un, changerait pour chaque texte : ils n’appartiennent à l’évidence pas tous au même genre, ni ne ressortissent au même registre. « Le Club des Robert » ou « D’une Madone l’autre » ou encore « Le Cinéma d’Emma », oui, ce sont des nouvelles. Mais « Marquises d’amour me font » ne raconte pas vraiment quelque chose, nous situe plutôt du côté de ce qu’autour des années 1900 on appelait un monologue (on dirait aujourd’hui « un sketch », pour un Devos, un Desproges ou un Bedos), encore serait-ce plutôt une suite de monologues, et le fantastique, l’onirique, l’ironique aussi y dominent, comme s’il s’agissait d’un texte trop long pour figurer dans Je ne sais pas si vous savez, dont il reprend la veine – et ma phrase à tiroirs en mime la construction. « La Druidesse en pleurs » est un pur chef-d’œuvre de narration rapide ; on songe à une histoire à la Perec (Voisard n’a pourtant pas encore lu La Vie mode d’emploi au moment où il écrit ce récit), avec quelque chose de plus onirique, et d’une écriture moins neutre. « La Mort de l’Engoulevent » ajoute au ton lyrique du texte précédent, et c’est maintenant une figure à la Perec, mais avec laquelle le narrateur est dans une relation d’intimité presque passionnelle. Il faut noter encore que tous ces récits sont à la première personne. L’auteur se donne le regard, les souvenirs, la remémoration douloureuse de narrateurs (ils changent à chaque histoire) qui sont aussi les protagonistes ou –6– au moins les partenaires principaux de ces histoires. Ces identités de narrateurs que prend Voisard sont tellement poussées que chacun a sa voix propre, qui se matérialise en quelque sorte dans une écriture personnelle. D’où une grande diversité dans l’énonciation comme dans la narration. C’est pourtant profondément la même vision, qui fait de ces récits un seul livre. D’abord, diront les psychanalystes improvisés, c’est « quelque part » le même sujet qui s’exprime, avec ses obsessions récurrentes, dans l’exposition des corps, la monstration des seins, des touffes, des attouchements plus ou moins vulgaires. C’est le rappel, sous des identités diverses, de la même enfance. Le même désir qui toujours recommence. C’est pour moi surtout la même plume : dans ces récits comme dans celui de L’Année des treize lunes, qui paraîtra dans cinq ans, le poète – il l’était encore dans Louve, rappelons-le – se fait vraiment prosateur, mais prosateur de style, d’une écriture à nulle autre pareille : d’un bout à l’autre, c’est une leçon d’écriture dans la façon constante mais aussi tellement diverse de tendre la phrase tout en la maintenant libre et souple, avec une précision de vocabulaire qui n’a d’égale que sa richesse, la diversité de sa palette et sa fantaisie. Fantaisie et autres : dans tout cela domine une modulation en fanta- : fantasque, fantastique, fantasmagorie, fantasme, non en gradation, mais dans un subtil mélange. * * * –7– Je voudrais encore présenter un texte curieux, à ma connaissance le seul texte oulipien 2 de nos œuvres complètes : « Coda », paru dans le volume Empreintes, textes inédits des auteurs publiés par les Éditions Empreintes (1992, pp. 55-63). Il s’agit d’une « enfilade aphoristique à retournement symétrique » ; elle est dédiée à l’auteur des présentes notices, et cet honneur lui échoit par le fait probablement qu’il a depuis longtemps trop pesamment insisté sur ce qu’il y a d’aphoristique, de gnomique, de proverbial dans la poésie de Voisard ; « Coda » est fait de pseudo-sentences ou de pseudo-maximes dont la consécution applique deux règles : les phrases s’enchaînent en réitérant chacune un des mots de la précédente, et à partir d’un axe de symétrie, reviennent sur leurs pas en reprenant la série des mots qui constituaient ces nœuds, mais dans des phrases nouvelles. L’application mécanique de la règle, les contorsions qu’elle impose au compositeur de ce texte, les images que cela fait naître, l’effet de surprise qui surgit partout pour contrebalancer la monotonie du procédé, voilà qui me fait ranger ce texte dans l’opera buffa et qui constitue « Coda » en un autopastiche dont la fonction est de vérifier par l’absurde que l’exégète a raison, mais qu’il serait bien inspiré de réfléchir à nouveaux frais sur la place et la forme du gnomique dans l’œuvre et le langage poétiques de Voisard ! A NDRÉ W YSS 2 Adjectif forgé sur « Oulipo », groupement d’écrivains fondé par Raymond Queneau et François Le Lionnais : les textes de l’OU(vroir) de LI(ttérature) PO(tentielle) appliquent tous une règle que l’auteur s’est librement donnée. –8– ">

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